14-20 janvier 2025

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Interviews Gazette

WORK TO DO - “Une histoire basée sur mon expérience”

©KT Alpha / Nareum Cinema
Un cinéaste coréen qui cite le travail de Ken Loach, Stéphane Brizé et Laurent Cantet comme source d’inspiration : c’est Park Hong-Jun ! Il a répondu à nos questions.Comment vous est venue l’idée de ce scénario ? On dit que vous vous êtes inspiré de votre propre expérience dans le monde du travail. 

Il s’agit d’une histoire basée sur des expériences réelles. À partir de 2015, j’ai travaillé environ quatre ans et demi dans le département des ressources humaines d’un chantier naval, au cours duquel l’industrie mondiale de la construction navale a connu des temps difficiles. De nombreux chantiers navals coréens ont fermé et d’autres ont connu des difficultés importantes. Même dans les entreprises qui ont survécu, de nombreux employés ont dû partir. Dans cette situation, j’ai commencé à me demander si la restructuration de l’effectif était vraiment la meilleure solution ou s’il y avait une autre façon. Le conflit entre les travailleurs a commencé, et je me suis souvent demandé pourquoi ceux qui occupaient des postes de responsabilité pour la situation reculaient, laissant leurs collègues se heurter les uns aux autres. Voilà les préoccupations que j’avais.

Pendant cette période, à la fin de 2016, la situation politique en Corée a commencé à changer rapidement. Le président, élu par un parti conservateur, a été mis en accusation à cause de diverses accusations et la colère du public a atteint son apogée. Les citoyens sont descendus dans la rue et ont fait entendre leur voix pour rétablir la démocratie. Alors que les voix pour une société meilleure étaient de plus en plus fortes à l’extérieur de la compagnie, je commençais à me demander si je faisais bien ce qu’il fallait faire à l’intérieur de la compagnie. C’est au milieu de ces pensées que cette histoire a commencé.

Comment fonctionne le monde du travail en Corée du Sud, qui est la 13e ou 14e plus forte économie du monde ? Est-il vrai qu’il s’agit du capitalisme le plus dur de la planète ?

Les conditions de travail en Corée du Sud se sont considérablement améliorées par rapport à la période de forte croissance des années 1970 et 1980. La culture du travail de cinq jours par semaine, 40 heures par semaine, est devenue quelque peu établie, au moins dans les lieux de travail typiques, à l’exclusion des travailleurs indépendants et des travailleurs de plate-forme. Cependant, la réalité est que la Corée du Sud a encore des heures de travail plus longues par rapport à d’autres pays de l’OCDE ou à des nations ayant des niveaux de revenu similaires. Par exemple, selon les statistiques de l’OCDE à partir de 2022, la moyenne annuelle des heures de travail par personne en Corée du Sud était de 1904 heures, alors qu’elle était de 1427 heures en France.

Il existe également un système très problématique que les entreprises coréennes ont tendance à exploiter en termes de main-d’œuvre et de salaires, appelé le « Comprehensive Wage System ». Dans certains cas, le salaire mensuel se compose d’un salaire de base plus une allocation mensuelle fixe. Ce système suppose que les employés travaillent des heures supplémentaires dans une certaine mesure et inclut cette rémunération supplémentaire dans le salaire. Une telle structure salariale oblige les employés à faire des heures supplémentaires et fait en sorte que de nombreux travailleurs ne reçoivent pas une rémunération équitable pour le travail supplémentaire. En outre, je crois que les heures de travail réelles ne sont pas toujours prises en compte dans les statistiques du travail, ce qui signifie que les heures de travail réelles seront probablement encore plus longues.

En outre, la culture de travail sud-coréenne est encore fortement hiérarchisée, avec un système rigide basé sur l’âge et le rang professionnel. Bien qu’il soit courant d’avoir une certaine forme de hiérarchie dans toute organisation, la culture coréenne a un ordre particulièrement fort basé sur l’âge et le poste, ce qui rend difficile de rejeter les instructions des supérieurs. Il s’agit d’un trait culturel qui a été transmis à travers l’histoire et qui a également été influencé par la période coloniale japonaise, au cours de laquelle de nombreux aspects de la culture japonaise ont été transposés en Corée.

A-t-il été difficile de faire un film sur ce sujet dans votre pays ?

Il n’y a pas eu de difficultés du tout. Bien sûr, ce n’était pas un sujet très commercial, donc augmenter le budget de production était difficile, mais je pense que c’est un problème auquel sont confrontés beaucoup de films. Cependant, en raison de la nature du sujet, il n’y a pas eu de pression extérieure pour empêcher le film d’être réalisé ou diffusé, ni aucun élément qui m’ait rendu les choses difficiles. Si on a un problème, c’est que le public s’intéresse moins aux films avec ce genre de sujet.

Il fut un temps où il était difficile d’exprimer son opinion librement. Depuis la période coloniale japonaise jusqu’à la libération, la société coréenne a dû endurer de longues périodes de dictature. Pendant cette période, de nombreux artistes ont eu des difficultés à exprimer leurs pensées et ont subi l’oppression. Mais, grâce à une longue lutte pour la démocratie et la liberté, nous sommes aujourd’hui libres. En réfléchissant à la situation politique actuelle, ma gratitude et mon respect pour les sacrifices et les luttes de la génération précédente ont grandi.

Le scénario de ce premier long-métrage fait évidemment penser à Ken Loach. Fait-il partie de vos influences ? Et connaissez-vous le réalisateur français Stéphane Brizé, auteur du film Un autre monde, qui raconte lui aussi les tourments d’un cadre chargé de licencier des ouvriers ?

C’est vrai que j’aime beaucoup les films de Ken Loach et qu’il m’a beaucoup influencé. En révisant le scénario, « Sorry, We Missed You » est sorti en Corée et je me souviens avoir apprécié ce film. J’aime aussi les films comme « Le vent qui secoue l’orge » et « moi, Daniel Blake ». J’admire la façon dont il crée les personnages et sa méthode de représentation de son point de vue sur la société à travers le film, et j’apprécie le pouvoir que possèdent les films et la littérature 'réalistes'.

Je n’ai pas vu le film de Stéphane Brizé dont vous avez parlé, mais je me souviens d’avoir fait des recherches sur un film intitulé « La mesure d’un homme » (La loi du marché) en travaillant sur le scénario. À un moment donné, pendant la révision du scénario, je me demandais comment mieux explorer le point de vue d’une personne mise en congé et je me souviens avoir regardé ce film à l’époque. Je me souviens aussi avoir fait référence au film de Laurent Cantet, « Ressources humaines », lors du processus de préparation du scénario.

Votre pays, la Corée du Sud, est actuellement confronté à une crise politique majeure. Quel est votre regard sur cette crise ?

Je ne peux pas contenir ma colère quand je vois la situation actuelle. Même en cet hiver froid, les manifestations pour demander la destitution et l’arrestation du président se déroulent tous les jours, et de grandes foules se rassemblent dans les places le week-end. Pendant ce temps, le président se cache dans la résidence présidentielle, caché derrière une force de sécurité privée qu’il a transformée en son armée personnelle. Il continue à inciter les groupes d’extrême droite à le protéger, et le parti au pouvoir déforme l’opinion publique avec des déclarations contradictoires pour le défendre. Donc, dès que j’ai le temps, je me joins aux protestations et ajoute ma voix à l’appel pour la destitution du président.

Ce qui m’irrite encore plus, c’est le mouvement de certains médias et de ceux qui cherchent à protéger le président pour le dépeindre comme une confrontation entre les partis au pouvoir et l’opposition, ou comme une lutte politique de gauche-droite. Il s’agit d’une question de bon sens par opposition à des absurdités, et cela concerne une situation où le pouvoir de l’État a été utilisé illégalement pour réprimer les citoyens au moyen de la loi martiale. Il est frustrant de constater que beaucoup de personnes occupant des postes élevés dans la société continuent d’appuyer cette loi martiale illégale. Je crois qu’il faut punir sévèrement le président et les forces qui l’entourent et qui ont mené cet incident.

Une chose positive est que la conscience civique en Corée se développe continuellement, ce qui peut être ressenti dans les (plazas) places ?. Des manifestations ont lieu presque tous les jours et, le week-end, des centaines de milliers de personnes se rassemblent. Cependant, les affrontements physiques avec ceux qui tentent de bloquer les manifestations sont rarement vus. Il est très froid et difficile de descendre dans la rue en cette saison, mais ces manifestations, auxquelles participent tant de citoyens. Ça à parfois l’air d’une célébration de la démocratie. Les gens sortent avec des bâtons lumineux pour leurs vedettes préférées, et lors des rallyes, de la musique K-pop joue, et tout le monde chante ensemble. Les jeunes apprennent les chansons chantées lors des manifestations passées. Les générations plus âgées semblent aussi apprendre à communiquer avec les jeunes sur ces sites de protestation.

Et pour finir la question que nous posons à tous les invités du Festival : dans quelle mesure, selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ?

Je crois qu’il n’est pas facile pour un seul film de changer le monde. Cependant, je pense que si les efforts pour changer le monde s’accumulent un par un, le monde va changer progressivement. Il y avait un film dans le cinéma coréen appelé « Next Sohee ». En Corée, il existe un système où les élèves du secondaire professionnel font des stages sur des lieux de travail et ce film met en lumière les violations des droits auxquels ces élèves sont confrontés. Le film est devenu un enjeu social, et le public a réagi, tout comme l’Assemblée nationale. Par conséquent, une loi a été adoptée pour protéger ces étudiants. Changer le monde peut parfois sembler une tâche énorme, mais si nous pouvons résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés un par un, je crois que le monde changera progressivement pour le mieux. 

Je pense que c’est ce qui s’est passé jusqu’à présent. Quant à savoir si c’est le devoir des artistes ou des cinéastes de soulever des questions sociales, je ne dirais pas que c’est un must (une obligation), mais je crois que l’art est une façon puissante de soulever des questions sur le monde. Je pense que l’art a une forte capacité à émouvoir les cœurs.

 

 

UBU - Trump, Bolsonaro et Kim Jong Un sont les Ubu d’aujourd’hui.

©uma pedra
Le cinéaste portugais Paulo Abreu s’est attaqué à une oeuvre emblématique et subversive du XXe siècle, Ubu Roi d’Alfred Jarry, pour en faire un film très actuel.
Pourquoi avoir choisi de porter à l’écran la pièce d’Alfred Jarry ? En quoi cette histoire vous paraît-elle d’actualité ?

C’est un ami cinéaste (André Gil Mata) qui m’a convaincu d’adapter la pièce en film. À l’époque, Trump, Bolsonaro et Kim Jong Un étaient au pouvoir — des personnalités qui partageaient de nombreuses similitudes avec Ubu. J’ai trouvé que la pièce était une excellente satire des temps actuels, et nous avons décidé de l’adapter ensemble. Plus tard, j’ai invité André Gil Mata à jouer dans le film et à représenter toute l’armée russe.

La pièce écrite à la fin du XIXe siècle est truffée de références à Shakespeare et à la tragédie grecque notamment. Comment cela résonne-t'il pour un cinéaste du XXIe siècle ?

 Bien que la pièce soit ancienne, l’ivresse du pouvoir est un thème intemporel et il y aura toujours des personnages comme Ubu au pouvoir. Dans certains cas, la réalité dépasse même la fiction et il devient effrayant de voir les politiciens se comporter de façon surréaliste. Ubu Roi n’est pas seulement une farce politique mais aussi une parodie de Shakespeare, j’ai donc décidé de créer une parodie des films shakespeariens.

Ubu Roi est souvent considéré comme un texte précurseur du surréalisme. quel est votre rapport à ce mouvement littéraire mais aussi cinématographique ?

Je trouve le mouvement surréaliste en littérature et cinéma très intéressant, mais je voulais faire un film plus néo-classique sur le plan esthétique — comme s’il s’agissait d’une production shakespearienne à petit budget. J’ai laissé de côté les éléments grotesques que l’on retrouve habituellement dans les costumes et décors des adaptations scéniques de la pièce, en me concentrant plutôt sur l’absurdité et le surréalisme présents dans le texte et les performances des acteurs.

Comment s’est fait le casting pour incarner notamment ces deux personnages centraux que sont le père et la mère Ubu ?

Quand j’ai relu la pièce et décidé de l’adapter au cinéma, j’ai immédiatement pensé à Miguel Loureiro et Isabel Abreu comme les deux acteurs principaux. D’abord parce qu’ils sont tous deux des acteurs exceptionnels, qui n’ont pas peur de prendre des risques — surtout dans ce cas-ci où le texte exigeait un détour radical par rapport à tout type de naturalisme. En outre, ils ont tous deux joué dans plusieurs pièces de Shakespeare.

Et pour finir la question que nous posons à tous les invités du Festival : dans quelle mesure, selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ?

Malheureusement, le cinéma et l’art ne peuvent pas changer le monde, mais ils peuvent certainement le rendre beaucoup plus supportable. Cependant, un bon film peut transformer les gens qui le regardent. Honnêtement, je crois que s’il y avait plus de cinéma dans les écoles et à la télévision, le monde serait meilleur. Actuellement, les téléspectateurs sont exposés à des contenus horribles et dégradants. Après la révolution du 25 avril 1974, il y a eu une période de quelques années où une chaîne de télévision portugaise diffusait d’excellentes émissions cinématographiques et qui avait un impact profond sur toute une génération. Dans ce cas, je crois que cela a vraiment fait une différence.

 

 

COSTA-GAVRAS : “Tous les films sont politiques”

@Sica Forde / KG Production
Il avait accepté dès le début de parrainer le festival du film politique de Carcassonne. Pour cette sixième édition, le maître mondial du cinéma engagé présente son dernier opus, qui traite de la fin de vie. Entretien très ... politique !
En 2018, vous acceptiez d’associer votre nom à la naissance du Festival International du Film Politique. Qu’aviez-vous pensé de cette initiative à l’époque ?

Mes premières questions et mon intérêt étaient sur le fait que deux jeunes passionnés de cinéma voulaient créer un Festival, montrer des films selon leur amour du Cinéma et de leur sensibilité dans une partie du pays qui en manquait.

Quant au titre je n’allais pas en discuter avec eux. Ma conviction est que tous les films sont politiques.

Au début de votre carrière vous avez plusieurs fois allié le genre du thriller avec celui du film politique, est ce que selon vous il y a des corrélations entre eux et si oui lesquelles ?

Pour commencer je n’ai pas choisi le cinéma pour faire carrière mais par passion. Je n’ai pas choisi le genre «thriller» - thriller, c’est-à-dire angoisse, peur, terreur, frisson, exaltation …. - qui définit les romans et les films policiers.

J’en ai fait un – Compartiments tueurs. Pour mes autres films j’ai choisi de trouver «la tension», c’est-à-dire l’effet intellectuel, la tension d’esprit pour suivre l’histoire du film en découvrant au fur et à mesure de son développement les différentes situations, les contradictions et enfin la conclusion. Chacun de mes films suit une construction différente liée à son contenu. Jamais l’idée de thriller n’est utilisée.

“Notre société doit avoir les moyen matériels et immatériels pour que chacun d’entre nous ait une fin de vie digne et dans les meilleures conditions de sérénité et de liberté”

La politique, et notamment la question du pouvoir et de ses abus, traverse la plupart de vos œuvres ? Était-ce dès le début le cinéma que vous vouliez faire ?

La politique pour moi ne sont pas les abus du pouvoir des gouvernants. La politique c’est chacun de nos actes dans la cité (polis en grec). C’est le pouvoir que nous avons, chacun de nous, et comment nous l’exerçons pour le bien-être et pour le mal- être de l’autre. Le pouvoir peut prendre des formes d’oppression de toutes sortes sur les faibles et les moins faibles dans une société quand il est exercé par celui qui a ce pouvoir de gouverner, et celui qui a le pouvoir de l’argent.

Avec mes films j’aime parler et montrer ces pouvoirs. Peut-être parce que je les ai subis dès mon jeune âge.

« Un film politique, c’est d’abord une bonne histoire », disait Ken Loach lors du dernier Festival de Carcassonne. Est-ce un avis que vous partagez ?

Un film c’est indubitablement d’abord une bonne histoire, un bon scénario et mis en scène par un metteur en scène qui a du talent et de la passion.

Parlons du Dernier Souffle. « On en a fini avec le “tu enfanteras dans la douleur”… Donnons-nous la chance d’accoucher les gens de leur mort, sans douleur, et ainsi d’améliorer les conditions du mourir, sans pour autant donner la mort ! », c’est ce que dit Claude Grange dans le livre, écrit avec Régis Debray, qui sert de base à votre film. Une fois encore, vous abordez un thème qui est politique, ou en tout cas qui s’inscrit dans le débat public. Qu’est-ce qui vous a guidé dans cette approche ?

Il est clair pour chacun qu’il faut en finir avec les douleurs physiques et psychiques. Notre société doit avoir les moyen matériels et immatériels pour que chacun d’entre nous ait une fin de vie digne et dans les meilleures conditions de sérénité et de liberté. C’est ce qui m’a guidé dans cette approche de ma vision de la société et aussi le désir, qui sera le dernier, de partir dans ces conditions d’accompagnement, et naturellement le plus tard possible.

Il y a aussi, au « générique » (si l’on peut dire) du livre, un autre nom qui évoque la politique et les utopies politiques des années 60-70, c’est Régis Debray. On pense évidemment à Missing, à l’Amérique latine de la période noire que Régis Debray a bien connue. Est-ce aussi ce qui vous a rapproché du livre au départ ?

Régis Debray est un homme que j’admire et que j’ai la chance d’avoir comme ami depuis très longtemps. Depuis son retour d’Amérique latine. J’ai lu ses livres qui me passionnent, quel que soit leur thème. C’est ce qui est arrivé avec le livre qu’il signe avec le docteur Claude Grange que j’estime beaucoup. Quand aux années 70 et même avant ou après leurs utopies politiques ont changé l’Amérique latine. Il n’y a plus de dictactures militaires. Elles ont été remplacées par quelques rares démocraties, des demi démocraties, et des fachos démocraties.

Qu’apporte la fiction selon vous à ce thème de la fin de vie ?

La fiction peut dépasser la vérité pour la rendre acceptable. A condition qu’elle ne devienne pas du voyeurisme.

Dans le débat sur la fin de vie (accompagner, aider, assister), on suppose que vous avez vous-même une opinion… Quelle est-elle ?

Mon opinion c’est d’avoir fait le film qui est pour moi une ode à l’accompagnement et aux soins palliatifs. Inspiré du livre mais sa forme, les choix, les situations des personnages et autres adjonctions sont dans le scénario.

Entre la prolifération des chaînes d’info qui multiplient les images politiques et les séries qui s’intéressent de plus en plus au sujet, comment voyez-vous l’avenir du cinéma politique ?

Comme je l’ai déjà dit le cinéma et les médias que vous citez sont tous politiques. Ainsi que cet échange avec questions et réponses que vous m’avez demandé. Seulement la majorité de ces médias dépendent des hommes d’argent et défendent leur volonté. Les spectateurs auront à choisir. Tâche difficile mais démocratique.

Quant à l’avenir du cinéma en France nous faisons tout pour qu’il survive, qu’il se multiplie, se féminise et soit libre. On peut dire que vu le nombre de spectateurs ç’est dans la bonne direction.

Et pour finir la question que nous posons à tous les invités du Festival : dans quelle mesure, selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ?

En restant personnel, libre, multiple, divers et promu avec des bons festivals ☺

LITTLE JAFFNA : “Suspens, action, thriller”

@Guy Ferrandis
Little Jaffna est l’un des films événements du Festival cette année. Cette fiction présentée hors compétition est l’oeuvre d’un réalisateur, Lawrence Valin, qui s’est inspiré de son histoire personnelle pour concevoir un scénario de thriller en plein coeur du quartier tamoul de Little Jaffna à Paris. La Gazette l’a rencontré.
Lawrence Valin, dans le cinéma politique se pose souvent la question du choix entre documentaire et fiction. Comment s’est-il posé à vous pour concevoir Little Jaffna ?

J’ai emprunté des codes du documentaire pour les prises de vue lorsque je suis avec la communauté tamoule et ses traditions, et j’ai intégré ma fiction au cœur de ces moments authentiques. Par exemple, la fête de Ganesh au début du film est une véritable célébration qui se déroule chaque année dans le 18ᵉ arrondissement de Paris. À l’intérieur de cet événement réel, j’ai inséré une séquence d’action, mêlant ainsi fiction et réalité de manière fluide.

Little Jaffna est donc une pure fiction, une histoire inventée. Pourquoi avoir choisi le genre du film policier ?

Je ne voulais pas faire un documentaire sur la communauté tamoule, mais plutôt utiliser un film d’infiltration pour aborder le conflit au Sri Lanka. En m’appuyant sur les codes universels du genre – suspense, action et thriller – mon objectif était de toucher un large public tout en intégrant ces thématiques de manière accessible et engageante. Ce choix me permettait d’aborder des réalités complexes tout en offrant une expérience cinématographique captivante.

Dans les interviews, vous parlez souvent de la connotation politique du cinéma de Kollywood, du sud de l’Inde. Comment décririez vous ce genre de cinéma ?

Le cinéma Kollywood ne se limite pas à divertir : il joue également un rôle clé dans la construction et la diffusion de discours politiques. Ce sont souvent des partis politiques tamouls qui financent et exploitent le cinéma pour transmettre leurs messages. Le divertissement devient ainsi un moyen de rassembler les masses et, dans certaines régions où le taux d’analphabétisme est élevé, il a permis aux idées politiques de se propager de manière efficace et accessible.

Dans le personnage principal de votre film, interprété par vous-même, qu’y a-t-il de votre histoire personnelle ?

La quête d’identité du personnage principal reflète la mienne : vivre avec une double culture et apprendre à jongler entre les deux mondes.

Comment définiriez vous un film politique ?

Comme un film Kollywood ;)

Et pour finir la question que nous posons à tous les invités du Festival : dans quelle mesure, selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ?

Je ne sais pas si le cinéma peut changer le monde mais peut-être qu’il peut aider à voir les choses différemment et à ouvrir les esprits vers l’inconnu.

MY FAVOURITE CAKE - l’amour que l’on n’attendait plus
@Hamid Janipour
Maryam Moghadam et Behtash Sanaeeha, la réalisatrice et le réalisateur de My favourite cake, sont actuellement retenus en Iran en attente de leur procès pour leurs activités artistiques.

Le duo Mahin et Faramarz est extrêmement touchant et on retrouve ce sentiment d’amour d’enfance grâce à sa légèreté. Pensez-vous que l’amour à cet âge soit plus libre en fin de compte qu’à 20 ou 30 ans par exemple ?

Exactement! Si les gens se laissent aller à des relations amoureuses à un âge plus avancé, ces relations seront certainement plus modestes et moins exigeantes. À cet âge, les expériences et la compréhension que nous avons de nous-mêmes et des autres peuvent mener à des relations beaucoup plus authentiques et sans prétention. Nous savons qui nous sommes et il n’est pas nécessaire que les autres aient une perception différente de nous. C’est le vrai moi de chaque individu, sans plus avoir besoin de cacher son enfant intérieur.

Paradoxalement, la fin du film est dramatique. Pourquoi avez-vous fait ce choix, la mort était-elle inévitable à votre avis ?

Oui, la mort était inévitable pour nous. Quand on crée un drame avec une approche existentielle, la mort devient son élément le plus significatif. Tout comme nous voyons d’autres éléments existentiels comme la solitude et la liberté en elle. Quand nous voulons faire comprendre que la vie est courte, que nous devons chérir les moments et créer le bonheur pour nous-mêmes, nous ne pouvons pas ignorer la mort. Nous voulions raconter un drame où la mort est vue comme une partie intégrante de la vie.

À notre avis, ce n’est pas une fin amère parce que Faramarz réalise son souhait de ne pas mourir seul et d’être dans le jardin dont il a toujours rêvé. De même, Mahin place son amour pour toujours à ses côtés, dans son beau jardin. C’est une mort symbolique et poétique, pas amère.

Vous arrivez à traiter la solitude et de la fin de vie par la comédie et parfois l'absurde. Vouliez-vous apporter un autre regard sur ces questions?

Nous savons tous que la vie n’est pas facile et qu’elle est souvent douloureuse. Mais cela signifie-t-il que cela ne vaut pas la peine de vivre? Bien sûr, il est absurde qu’en dépit de toutes ces difficultés, nous soyons si attachés à la vie, et à juste titre, parce que dans ce monde, tout ce que nous avons c’est cette expérience passagère, unique. Et ce sont ces moments de joie qui rendent la vie extraordinaire.

Les personnes âgées peuvent souvent se sentir en décalage avec la nouvelle génération. Trouvez-vous qu’il y a des points communs entre la génération post-révolution de 1979 et celle qui subit aujourd’hui l’oppression du régime iranien ?

Oui, aujourd’hui ces deux générations partagent de nombreux points communs, dont le plus important est leur protestation contre les conditions actuelles. La principale objection de la jeune génération à la génération pré-révolutionnaire est : pourquoi avez-vous commencé la révolution? Quelle révolution a-t-elle fait perdre à une nation ses libertés personnelles et sociales? Les interdictions telles que le hijab obligatoire, l’interdiction de la consommation d’alcool, l’interdiction de danser, de chanter et la restriction du choix vestimentaire sont parmi ces libertés perdues. La génération plus âgée regrette souvent ses actes et répond à la jeune génération en accusant l’ingérence occidentale d’être la cause profonde de la révolution. Ce conflit en cours se joue quotidiennement dans les rues de Téhéran, dans les restaurants et dans les taxis entre ces deux générations. Cependant, ce qui compte vraiment, c’est que les jeunes d’aujourd’hui sont déterminés à apporter des changements et que le leadership de ce mouvement est entre leurs mains. Cette nouvelle génération est courageuse, audacieuse et motivée, se bat pour ses revendications — et il ne fait aucun doute qu’elle les réalisera.

Enfin, la question que nous posons à tous les invités du festival : dans quelle mesure, selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ?

Le cinéma engagé est l’un des rares outils qui peut relier les peuples du monde plus que tout autre chose, comme les maillons d’une chaîne. Il s’agit d’un phénomène dont nous avons été délibérément tenus à l’écart. Comprendre et connaître les autres — l’empathie et la proximité — peut nous amener à créer un monde différent.

 

EVERYTHING IS TEMPORARY - “De l’intime a l’universel”

@Juliette Klinke / Marmotte Productions
Juliette Klinke relate sa rencontre avec une jeune birmane qui cuisine en bord de rue et rêve de faire des études. Une relation percutée par l’actualité du Myanmar. La Gazette l’a rencontrée.
« EVERYTHING IS TEMPORARY » n’est pas votre première œuvre cinématographique. Quels sont les sujets qui vous donnent envie de réaliser des films ou documentaires ? 

C’est souvent une fois le film fini, ou bien entamé, que je réalise qu’il parle de sujets importants pour moi. Au démarrage du projet c’est beaucoup l’intuition qui me guide. Mais au final mes films partent souvent de l’intime pour parler de choses plus universelles. Les inégalités ou l’injustice sont des thèmes qui me travaillent beaucoup, mais j’ai toujours besoin qu’il y ai de l’espoir. Je réalise que mes films témoignent souvent de rêves ou de projections de jeunesse ou d’enfance qui se confrontent au monde adulte. Le passage de l’enfance/adolescence à l’âge adulte existe dans chacun de mes films.  

Lors de votre séjour vous avez été surprise par le coup d'État militaire au Myanmar. Comment avez-vous réagi à ce moment, vous êtes-vous sentie dépassée par les évènements ? 

Oui, complètement. Le jour du coup d’état nous nous sommes réveillés et tous les moyens de communication étaient coupés. Plus d’internet, plus de données mobile, plus de réseaux téléphone, … Je n’arrivais pas à intégrer ce qui était en train de se passer et de se jouer pour tout le pays. Je me souviens avoir filmé les enfants quelques jours après, lors de l’anniversaire de l’un d’entre eux. Ils n’étaient pas encore au courant de ce qu’il se passait, tout semblait encore normal. Pourtant, en les observant, je ne pouvais m’empêcher de me poser plein de questions sur leur futur et m’inquiéter pour eux. 

Au départ, vous n’aviez pas l’intention de réaliser un film sur votre expérience là-bas. Est-ce que ce sont justement ces événements qui vous ont donné cette idée ou plutôt la découverte de Zu zu ? 

Un ensemble de choses ont fait que ce film existe. Mais c’est avant tout grâce à la rencontre de Zu Zu. J’ai commencé à filmer pour avoir des souvenirs de ce que nous vivions elle, moi et les enfants dans sa famille. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, la caméra a accéléré la construction de notre relation et la confiance commune. Elle et sa mère ont compris que filmer c’était « mon truc ». Elles ont commencé à me proposer des moments ou des lieux à capturer, comme par exemple le marché où elles se rendaient tous les matins à 4 ou 5h. Alors quand le coup d’état est arrivé je ne pouvais pas poser ma caméra. Je ne savais pas ce qu’il allait m’arriver, mais j’ai senti qu’il ne fallait pas m’arrêter de filmer. Et c’est seulement quelques mois plus tard que je me suis vraiment rendue à l’évidence qu’on était en train de faire un film et qu’il était nécessaire que ce film existe. Il est un témoignage personnel, historique et unique. 

L'Écriture du documentaire vous est-elle venue naturellement, à l’image d’un carnet de bord ? 

Dans un premier temps en effet l’intuition était mon premier moteur et je filmais à l’image d’un carnet de bord. Au-delà du film, je vivais beaucoup d’émotions et d’incertitudes et donc je me suis fiée à mon instinct dans l’écriture du film, en me disant que je verrai plus tard si une histoire pouvait se construire. Ce n’est qu’environ deux mois après le coup d’état que j’ai réalisé que le souhait de Zu Zu de devenir policière serait l’un des fils rouge du film. L’écriture s’est donc ensuite poursuivie en même temps que le tournage, puis au montage évidemment. J’avais le sentiment que ce film allait aussi parler de notre amitié, mais je n’en étais pas certaine. Ce n’est qu’au montage, quand nous avons vraiment travaillé sur ma place et celle de notre relation, que cette partie de l’écriture du film s’est mise en place.

Et pour finir la question que nous posons à tous les invités du Festival : dans quelle mesure selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ? 

Je pense que le cinéma est un moyen puissant pour partager des émotions, des questionnements sur notre monde, des réalités ou des visions du monde différentes. Alors je dirais que, comme un colibri qui fait sa part, un film peut toucher quelques personnes et faire bouger en eux quelque chose qui fait qu’ils ne verrons plus le monde (ou disons une petite partie de celui-ci) comme avant. Et tous ces petits changements font bouger des lignes. La grande force du cinéma est de pouvoir rendre des personnes empathiques à d’autres (ou à des sujets), leur faire accéder à un autre point de vue, une autre version de l’histoire. Et avec plus d’empathie et de compréhension de l’autre je pense que l’on contribue à changer le monde. 

 

 

CHATEAU ROUGE - "Tous les enjeux d’émancipations sont présents toute notre vie"

@JérômeOlivier

La réalisatrice du film "Chateau Rouge" à répondu aux questions de la Gazette du festival. 

Généralement, quand on pense à la façon dont le cinéma a pu essayer d’approcher l’enseignement, il vient à l’esprit un documentaire (Être et avoir) et une fiction inspirée du réel (Entre les murs). De quelle manière avez-vous tranché, pour Château Rouge, dans le classique dilemme entre ces deux types de cinéma ? 

Je ne me suis pas senti devoir décider si Château rouge devait ou pas ressembler à l’un ou l’autre. Mon cheminement trouve plutôt sa racine formelle dans mes films précédents. Mais aussi, à revoir le travail de Frédérick Wiseman (Welfare ou Hight Scool), même si je mesurais l’écart du temps, quelque chose dans son cinéma est pour moi profondément moderne et me libère de tout dogme. Il est un cinéaste qui a le politique chevillé au corps. Dans Château Rouge trois espaces filmiques et cinématographiques constituent la matière du film et c’est ce tricotage qui fait l’ensemble et qui rend compte des temporalités différentes que je recherchais. Le cinéma direct, les « mises en scène » saisies sur le vif de ce qu’on tentait ensemble dans les moments où la petite troupe se retrouvait une fois par semaine et enfin la place particulière de la parole.

Douze ans après Les Roses Noires, qui filmait déjà des adolescentes, et cinq ans après Les charbons ardents, qui recueillait la parole d’adolescents, Château Rouge se penche à nouveau sur cette période de la vie. Qu’est-ce qui vous fascine dans l’adolescence ?  

Je crois que je suis profondément touchée par ce moment de métamorphose psychique, émotionnelle, physique. La découverte de la solitude, d’une certaine réalité, des combats à mener. C’est un moment d’une incroyable puissance et d’une très grande fragilité. Et leur authenticité est très belle. Et c’est aussi le temps de tous les possibles. Je suis très touchée par les obstacles qu’ils doivent surmonter et la résilience dont ils font preuve. Tous les enjeux d’émancipations sont présents toute notre vie mais là, à la sortie de l’enfance, il y a la beauté de tous les possibles confrontée et la violence sociétale qu’ils sont obligés de regarder et d’affronter pour construire leurs chemins.

Avez-vous noté une évolution sur ces années dans l’état d’esprit des ados ? 

J’ai l’impression qu’ils doivent gérer et faire face à encore plus de choses tel l’émiettement des luttes sociales, la terreur que leur inspirent les réseaux sociaux, le vide qu’ils ressentent du projet politique et ils ont une aspiration à l’utopie qu’ils ne savent comment rendre fructueuse. Après, heureusement, je leur trouve toujours la même grâce et ils m’inspirent beaucoup de tendresse car devenir un homme et une femme dans ce monde illisible parfois c’est vraiment difficile et il me semble que ce que l’on doit faire, surtout, c’est leur donner confiance, et les entendre, encore et encore.

Votre film balance entre gravité et légèreté. Parmi les moments plutôt graves, il y a la conscience de classe et le sentiment d’injustice… 

En fait il y a une vie invisible aux adultes qui est ici pour partie dévoilée grâce tout simplement au fait que le film se fasse. Il y a la naissance de ces consciences de classe, ils sont d’une très grande lucidité sur les mécanismes de notre société et ils nous surprennent car ils sont si jeunes. Et c’est profondément injuste qu’ils doivent se déterminer beaucoup plus tôt et refermer des imaginaires là où les enfants des classes plus privilégiées vont avoir bien plus de temps pour cheminer. Depuis des décennies que l’on sait, depuis le travail de Bourdieu, que le système reproduit les inégalités, que faisons-nous de tout cela ? C’est aussi la présence de la caméra et le projet artistique qui, de fait, ouvre la possibilité de mettre en mots toutes les multiples observations qu’ils font ou qu’ils ont faites. Le statut de la parole dans les institutions est une véritable question ainsi que la place des arts en général qui permet un pas de côté pour regarder, entendre, dire.

Vous avez voulu filmer le passage crucial de la fin du collège. Pourquoi ce choix ? 

Au départ le projet était de raconter, de filmer, l’accompagnement des adolescents par des adultes dont l’engagement quotidien redonne l’espoir dans ce moment crucial de l’adolescence. Cet accompagnement est beau et absolument indispensable. Mais, du film précédent je portais en moi la question de ces cicatrices que j’ai senti encore très vives chez beaucoup de jeunes gens quand ils sont ensuite au lycée, après cette « nécessaire » orientation qui est souvent faite par défaut. Ce moment crucial dévoile la violence d’un système qui reproduit les inégalités. Parfois même ils trimballent longtemps l’idée d’échec, d’avoir déçu leurs rêves et leurs parents et un tabou se forme, ils n’osent plus dire qu’ils auraient d’autres désirs. Il faut sortir de là, ce cette fatalité. 

Les adultes de la communauté éducative sont également présents dans Château Rouge.  Qu’avez-vous souhaité dire de leur travail ?  

Les voir travailler, s’engager au quotidien pour lutter contre toutes ces violences systémiques me donnent de l’espoir. Dans tous les domaines, tant qu’il y aura des gens pour s’engager ainsi tout n’est pas perdu ! C’est une forme d’hommage aussi à un travail fondamental dans notre société qui est malmené et il s’agit d’honorer la place de l’éducation qui est éminemment politique. 

A-t-il été difficile d’obtenir cette parole libre et souvent percutante de ces ados ?

C’est le temps passé ensemble qui permet de construire une confiance. Et je suis toujours très confiante, moi-même, dans ce qu’ils ont à dire. Je sais que ce qu’ils ont à dire est important. Mais il faut en construire les conditions d’expression et les prendre véritablement au sérieux. A partir du moment où ils comprennent que ce n’est pas factice ils font confiance.

 En quoi, selon vous, votre film est-il un film politique ?  

Il l’est de fait. Par son propos et par son esthétique. L’esthétique est politique. C’est un film qui cherche l’émergence de questionnements sur un système qui porte en son sein beaucoup de choix politiques et qui est le résultat d’une histoire. Le film est éminemment politique par les questions qu’il met à jour, par la façon de mettre en scène les uns et les autres, par l’affirmation de rendre visible et d’entendre une jeunesse souvent invisibilisée ou caricaturée. Cette citation de Bourdieu est toujours présente à mon esprit : « les classes populaires ont deux choix, se taire ou être parlées » Et bien le film créé un espace où s’exprime la complexité de leurs visions et de leurs parcours. Le film cherche aussi à relier le spectateur à un moment qui résonne en chacun de nous puisque ce moment de l’adolescence est majeur pour chacun. Le film ouvre des champs, des questions multiples et favorise une réflexion sur un système qui contient beaucoup de violence symbolique et nous plonge dans une réalité crue. Il faut que chacun puisse repartir avec sa réflexion et s’approprier toutes ces questions, que le débat permette d’imaginer des solutions différentes. 

Et pour finir la question que nous posons à tous les invités du Festival : dans quelle mesure, selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ? 

Le cinéma ouvre les possibilités de grands changements. L’esthétique je l’ai dit est politique. Et souvent dans ses replis les plus discrets, il offre des révolutions possibles et très profondes. Je crois que le cinéma aussi est très puissant par son mode de diffusion qui peut aller très loin. Intrinsèquement il donne à voir et entendre à ressentir dans une relation très intime entre une œuvre et le spectateur. C’est un lien très fort qui passe par toutes les différentes façons de vivre une œuvre. Elle peut être un plaisir intellectuel, émotionnel, sensoriel et il y a de la place pour le politique dans tout cela. Bien au-delà du sujet c’est l’esthétique même qui peut « retourner la table ».

 

 

MAGMA - "Lorsqu’un volcan se réveille sur une petite île, la crise environnementale a tôt fait de devenir totale."

@JacquesGirault

À l'occasion de l'avant-première du film "Magma" Cyprien Vial, le réalisateur du film, a répondu aux questions de la Gazette du festival. 

D’autres territoires d’Outre-mer possèdent des volcans comme la Réunion et la Martinique. Pourquoi avoir choisi de situer le film en Guadeloupe ?

J’aime partir du réel pour construire mes fictions et c’est une crise scientifique, sociale et politique qui a eu lieu en Guadeloupe en 1976, lors du réveil de la Soufrière, qui m’a ici inspiré. Je me suis demandé ce qui pourrait se passer si ce volcan en particulier se réveillait de la même façon aujourd’hui. Les événements géologiques du film ne pourraient pas avoir lieu à La Réunion, où le Piton de la Fournaise, moins dangereux que la Soufrière, ne crache de la lave que dans des zones inhabitées. En Martinique, la montagne Pelée est très dangereuse, mais le scénario d’un éventuel réveil y serait différent. J’ai voulu raconter une histoire intimemement connectée au territoire guadeloupéen et proposer un récit à l’issue plus optimiste que la crise de 1976. 

Une polémique a alors vu s’affronter Haroun Tazieff, qui préconisait le maintien de la population en place et son patron de l’époque à l’Institut Physique du Globe : Claude Allègre, qui préconisait l’évacuation massive du sud de l’île. 75 000 habitants de Basse-Terre ont été déplacés dans le nord de l’île, parmi lesquels plusieurs dizaines de milliers ne sont jamais rentrés chez eux. 

Si les volcanologues contemporains considèrent l’usage du principe de précaution par Allègre lors de cette crise comme au départ justifié, des zones d’ombres (camouflages et trucages de données scientifiques) laissent entendre qu’il aurait maintenu l’évacuation pendant des mois alors qu’il savait que le volcan s’était rendormi. Des raisons économiques et politiques auraient poussé Paris à profiter du réveil volcanique pour déplacer vers le nord des centres de pouvoirs administratifs et économiques de la zone volcanique jugée dangereuse et sur le déclin. Derrière cette crise volcanique se cacherait donc un exode imposé.

D’apparence environnementale de nombreux autres enjeux jaillissent de cette étude scientifique faite par Katia et Aimé. Vous avez décidé de n’éclipser aucun de ces aspects. Pourquoi ?

Parce que lorsqu’un volcan se réveille sur une petite île, la crise environnementale a tôt fait de devenir totale. En se réveillant, la Soufrière a le pouvoir de révéler les problématiques de l’île. Aucune lave ne jaillit, mais des magmas plus diffus sont réveillés, qui convoquent l’histoire coloniale de l’île et sa position géographique dans la Caraïbe, loin de l’hexagone.

À plusieurs reprises dans le film, Katia pense savoir mieux que les habitants de l’île ce qui leur conviendrait mieux. À travers sa trajectoire, j’ai souhaité questionner la position du sachant venu de l’hexagone qui pense pouvoir décider d’à peu près tout pour les habitants de l’île. Si Katia trouve finalement sa place dans un semi-retrait modeste, cette figure est aussi évoquée, de manière moins nuancée, avec le personnage du Préfet.

La crise devient rapidement sociale et économique. Des dizaines de milliers de personnes vivent déplacées dans des conditions précaires et ne peuvent poursuivre leur activité professionnelle. La zone non touchée par le réveil volcanique devient zone d’accueil et ses habitants voient eux aussi leur quotidien transformé. Avec la surpopulation soudaine, les supermarchés se vident rapidement, les enfants ne peuvent plus aller à l’école qu’une demi-journée par jour. En zone évacuée, des pillages ont lieu. Cette crise sociale, d’abord maintenue en marge du film, y trouve une place de plus en plus centrale dans le dernier mouvement.  

Vous avez choisi le prénom Katia en référence à la volcanologue Katia Krafft qui est décédée en exerçant sa passion auprès de son mari. Est-ce que vous vous êtes inspiré d'autres scientifiques pour construire ce personnage ?

Katia est en effet inspirée par Katia Krafft, volcanologue de terrain et photographe passionnée, grande amoureuse des volcans, connue pour les avoir arpentés avec son compagnon Maurice jusqu’à leur mort dans une nuée ardente. Pour inventer Katia Reiter, j’ai essayé d’imaginer la vie que Katia Krafft aurait pu mener si elle était née trente ans plus tard. Une vie sans Maurice, au plus près des volcans, avec moins d’aventures de terrain, mais plus de responsabilités au sein de la hiérarchie scientifique. Comme son aînée, Katia aime toucher et sentir la roche, collectionner la matière, et garder une trace de ses explorations. 

Pendant le confinement, j’ai aussi été marqué par plusieurs femmes épidémiologistes ou infectiologues comme Karine Lacombe, Anne-Claude Crémieux ou Dominique Costagliola, qui tenaient un discours concret, mais qui ne pouvaient pas fonctionner sur le même timing que les politiques et citoyens avides de solutions. Leur position délicate, entre aptitude et impuissance, m’a touché. Elles aussi ont inspiré le parcours de Katia. Celui d’une femme passionnée et compétente, qui peine à suivre le rythme d’une crise et les attentes des dirigeants comme de la population. Une femme à laquelle la crise fait presque perdre pied, mais qui tient bon et en sort grandie. 

Selon vous quelles sont les leçons que s’apportent mutuellement les deux protagonistes ?

En étant si concernée par les événements, Katia transmet un sens des responsabiltiés à Aimé. Ce dernier en fait usage de manière courageuse, en devenant moteur de la sortie de crise. 

De son côté, Aimé permet à Katia de trouver sa juste place sur l’île, en lui faisant part de ses désaccords de plus en plus frontalement. 

Et pour finir la question que nous posons à tous les invités du Festival : dans quelle mesure, selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ?

Le cinéma nous permet d’arpenter des territoires inconnus. C’est une expérience de déplacement, un voyage qui nous bouscule et nous fait grandir. En nous permettant de devenir plus conscients de l’Autre et du monde qui nous entoure, il nous rend plus empathiques. Je crois qu’il a le pouvoir de modifier nos perceptions, de nous changer de l’intérieur et donc peut-être, de nous aider à changer le monde.  

BONJOUR L’ASILE - "Je me pose toujours la question de la collectivité, de la communauté : qui s’adresse à qui et comment."

@TomHarari

Judhit Davis était là lors de la première édition du festival een 2018 avec son premier film, "Ce qu'il me reste de la révolution". Elle revient avec "Bonjour l'asile" et à répondu à la Gazette.

L’humour, le rire, c’est la première chose qui vient à l’esprit en pensant à votre travail, Judith Davis, en particulier au théâtre avec L’Avantage du doute, ou encore en tant que réalisatrice. On peut parler de politique et rigoler, donc ?

Evidemment cela dépend du moment, du lieu, mais aussi des gens avec qui on rit. Quand j’essaie de construire une œuvre, que ce soit au cinéma ou au théâtre, je me demande comment je vais transmettre le mieux possible les questions qui me tiennent à cœur. Pour y parvenir, il y a différentes options, et en ce qui me concerne, je préfère m’adresser à l’intelligence des gens. Je passe par la comédie, également, parce que rire ensemble, cela fédère, cela crée un collectif. Rire ensemble, c’est une des clés qui permettent à l’intelligence de circuler. Mon autre souci, c’est de faire un humour qui ne lamine pas les propos, qui ne les mette pas tous au même niveau. Laminer, dire que tout est risible, c’est dangereux. Je ne suis pas favorable au cynisme hélas largement répandu en ce moment. Enfin, le rire permet de souffler sur l’énergie, pas pour se voiler la face mais pour cultiver les effets positifs, les enthousiasmes. Et souffler sur la mise en actes, l’envie de faire, l’envie de construire, c’est politique !

Vous étiez présente lors de la toute première édition du festival en 2018, quel souvenir en gardez-vous ?

Un super bon souvenir. Cela faisait partie des premières projections de Tout ce qu’il reste de la révolution, et j’ai trouvé qu'il était important d’avoir un festival international du film politique. En particulier parce qu'il y a souvent quelque chose de compliqué sur la liaison entre l’engagement et les acteurs ou les auteurs. Certains sont frileux, ils précisent bien qu’ils ne sont pas là pour passer un message. Moi, c’est quelque chose que j’assume sans aucun problème. Dire qu’un film est en-deçà de tout message serait dire que l’apparence d’absence de toute idéologie n’en serait pas une, ce serait mettre un habit de neutralité, de normalité, sur ce qui est finalement l’idéologie dominante.

Votre premier long métrage en tant que réalisatrice, "Tout çe qu’il me reste de la révolution", était  directement politique. En quoi Bonjour l’asile l’est aussi ?

Je me pose toujours la question de la collectivité, de la communauté : qui s’adresse à qui et comment. L’idée est justement de fonder des communautés. Au théâtre, il y a un espace-temps commun aux spectateurs. J'essaie de me poser la même question au cinéma. Pour moi, c’est cet esprit-là qui est important, et puis il faut s’interroger : pourquoi cette limite entre la vie de chacun, la vie quotidienne, et la politique ? Qui a décidé de mettre une barrière. Tout doit être interrogé à l’aune des systèmes, des logiques, des intérêts de classe, mais sans nier la singularité de chacun. J’essaie de relier la poésie, l’originalité de chaque être, avec les horizons collectifs.

Comment retrouve-t-on cette ligne de conduite dans le scénario de Bonjour l’asile ?

D’abord, il y a plusieurs personnages principaux dans le film. Et personne ne va sauver une situation ou résoudre un problème en son nom ou par son talent personnel. Je veux aussi montrer sur plusieurs échelles, la façon dont s’exerce le besoin de contrôle et de rentabilité, qu’il s’agisse du corps, du couple, de la famille ou des territoires.

Et pour finir la question que nous posons à tous les invités du Festival : dans quelle mesure, selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ?

J’ai vu beaucoup de gens faire des trucs parce qu’ils les avaient vu faire au ciné. J’habite au-dessus d’un commissariat et vous ne pouvez pas savoir à quel point les flics, quand ils claquent la porte de leur voiture, la claquent exactement comme au cinéma ! Pensez aussi aux Etats-Unis, qui se sont construits en même temps que le cinéma. Du coup, je me demande à chaque film ou à chaque spectacle si je peux aider à changer ce monde que j’aimerais vraiment beaucoup voir changer, ne pas laisser la place à l’idéologie dominante. Pour cela, il est important de montrer de nouvelles façons de faire, de se parler, de s’aimer, pour reconstruire complètement nos rêveries. C’est la question la plus importante : le cinéma change le monde s’il offre un accès à la possibilité de représenter son expérience du monde. Sinon, il sera un instrument du pouvoir en place.

LA PAMPA - "Ce qui les rend singuliers au monde qui les entoure, c’est leurs incapacités à comprendre les injonctions, à les assimiler."

@BenjaminRoux

Pour la représentation du film "La Pampa" d'Antoine Chevrollier au festival international du film politique de Carcassonne la Gazette a eu l'occasion de l'interviewer.

Comment s’est passé le casting pour le rôle de Jojo, Willy et leurs amis ? Est ce que ces acteurs ont aussi grandi dans un milieu rural ?

Le casting a été pensé,  avec Alicia Cadot la directrice de casting, très largement dès le départ. Nous nous sommes autorisés à aller du casting sauvage aux acteur.ices professionnels sur tous les rôles. Pour Willy, je connaissais Sayyid El Alami depuis la série Oussekine, je connaissais sa profondeur de jeu, et lorsqu’il a passé le casting, cela a été une évidence.

Pour Jojo, Alicia a cherché à travers différents réseaux. Puis Amaury est apparu. Son charisme et son instinct de jeu était immédiatement là. Nous avons travaillé ensuite le rôle pour être au plus proche de ce que je souhaitais, puis dès les premières heures de répétitions, il n’y avait aucun doute sur sa capacité à endosser la dureté de ce rôle.

Pour la bande d’amis, c'est un mélange d’acteurs professionnels (Hadrien Haulme/ Steven), d’acteurs non professionnels (Yannis Maaliou) et d’acteurs non professionnels de mon village (Marlon Hernandez). J’aimais cette idée de mélanger les énergies, les expériences. J’espérais que confronter les différents parcours aller amener un jeu plus chaotique mais aussi plus naturel.


Le personnage de Marina paraît être le seul à venir de « l’extérieur ». Pourquoi avoir voulu intégrer ce personnage dans cet environnement clos ?


Marina pour moi vient bien de « l’intérieur ».

Ce sentiment d’extériorité vient, je crois, de son bagage culturel et de sa classe sociale. Elle s’autorise à être ce qu’elle doit être, là où nos autres personnages sont en grande majorité scléroser dans leurs comportements et leurs trajectoires. Marina montre une pensée alternative car elle a eu la chance d’avoir accès à un monde qui élargit son prisme des possibles.

Elle a donc pu aller « à l’extérieur », à Angers, la grande ville d’à côté, car son paysage à « intérieur » lui offrait cette chance.


Tout se passe à travers le regard du personnage de Willy qui apparaît comme un témoin parfois impuissant de cet environnement toxique. Comment avez-vous réfléchi à la création de ce personnage ?


Nous l’avons pensé comme un étranger sur sa propre terre. Son regard sur son territoire et ses habitants est presque celui du spectateur. 

Il est ailleurs, comme jojo. Ils sont inconsciemments ailleurs, presque comme déjà partis, mais en étant encore intensément là.

Ce qui les rend singuliers au monde qui les entoure, c'est leurs incapacités à comprendre les injonctions, à les assimiler. C’est leurs sensibilités qui les excluent. Willy, comme Jojo, subissent la violence de leur territoire sans pouvoir encore la déconstruire, d’où son impuissance.


Vous avez co-écrit ce film avec Bérénice Bocquillon et Faïza Guène. Est-ce que le sujet de l’adolescence rurale vous touche tous les trois de la même manière ou bien avez-vous eu des approches différentes au départ ?


Nous avons je crois, trois rapports différents à l’adolescence et à la ruralité.

Je suis né et j’ai grandi dans un petit village, Berenice a grandi dans une petite ville de banlieue parisienne et Faïza à grandi à Pantin.

Ce qui nous lie et, je crois, ce rapport commun au petit monde qu’est une communauté. Le manque d’anonymat, la proximité des voisins, les rumeurs, les réputations etc…

Nous avons tous les trois traversés ces problématiques, mais aussi ces aspects positifs.


Et pour finir la question que nous posons à tous les invités du Festival : dans quelle mesure selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ?


Le cinéma change le monde.

Il change les visions, il ouvre des perspectives, donc il change notre monde. La puissance du cinéma est intarissable.

 

LE SYSTÈME VICTORIA - " En ce moment c’est le monde qui contribue à changer le cinéma !"

@InesTabarin-AFC

Sylvain Desclous revient sur la réalisation du film "Le Système Victoria",  adapté à partir du livre d'Eric Rheinard, auprès de la Gazette du festival. 

Sylvain Desclous, vous revenez cette année à Carcassonne après la présentation, en 2023, de votre fiction De Grandes Espérances. Quel souvenir gardez-vous du Festival International du Film Politique ?

J’en garde un excellent souvenir et surtout une image : celle de la salle du palais des Congrès pleine à craquer. Et je me suis dit que c’était beau d’arriver à rassembler autant de personnes pour venir voir des films et pour en discuter après. Il n’y a que le cinéma pour faire ça. Et la politique aussi.

La politique est au centre de beaucoup de vos films, souvent très directement comme De grandes espérances ou encore La campagne de France. Vous définissez-vous comme un cinéaste politique ? 

Si être politique c’est exercer un regard et le partager avec le publix, alors oui. Si c’est délivrer un message alors non.

Pour élargir, je dirais que dans chacun de mes films, il y a le souci et l’envie de parler de notre société à partir d’affects et de problématiques individuelles ou familiales.

Qu’est-ce qui vous a conduit à adapter le roman d’Eric Rheinardt, Le système Victoria ? 

Il y a dans le livre un paragraphe qui selon moi résume parfaitement le système dans lequel on vit tous (pour le moment) : « Ce que les hommes de pouvoir ont compris, c’est qu’ils se trompent rarement quand ils supposent qu’aux objectifs démesurés qu’ils sont conscients d’imposer à leurs collaborateurs ces derniers réagiront avec une telle servilité qu’ils les rendront réalistes. Non pas parce qu’ils le sont, non pas parce que ces hommes qui obéissent considèrent qu’ils peuvent l’être, mais simplement parce qu’ils finissent par les réaliser – au prix de leur santé, de leur sommeil, de leur quiétude et d’un ensemble de sacrifices difficilement évaluables à moyen terme, en particulier sur le plan familial. Ce n’est pas parce qu’un objectif est irréaliste qu’il ne faut pas essayer de l’imposer. ».

Rien que pour ces quelques lignes j’ai eu envie d’adapter le film. Et aussi (évidemment) pour mettre en scène l’histoire d’amour entre David et Victoria.

 

En quoi ce film est-il selon vous un film politique ?

J’ai essayé d’être fidèle au livre en ce qu’il décrivait avec lucidité, cruauté et démesure le monde du travail à un moment du capitalisme qu’on peut appeler triomphant. En cela, EricReinhardt a su capturer avec cette histoire la quintessence de son époque (comme Houellebecq avant lui dans Extension du domaine de la lutte) tout en inscrivant sa vision dans le récit original d’une histoire d’amour très forte.

 

La question de choisir entre fiction et documentaire est souvent posée aux cinéastes qui travaillent sur la matière politique. Comment se pose-t-elle pour vous ?

En ce qui me concerne je ne dirais pas qu’elle s’est posée mais plutôt imposée. Quand j’ai réalisé La Peau dure ou encore La Campagne de France, il s’agissait avant tout de faire vite. Une réalité s’imposait en effet à moi (la fin d’un vieil homme, des élections municipales atypiques) et je n’avais matériellement pas le temps de faire un film autrement que d’une manière extrêmement légère et flexible et dans une économie très chiche.

A l’inverse, pour De Grandes espérances ou Le Système Victoria, j’avais besoin de toutes les ressources de la fiction, et en premier lieu d’acteurs et d’actrices pour incarner mes personnages.

 

Et enfin, la question que nous posons à tous les invités du festival : dans quelle mesure, selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ?

J’ai plutôt l’impression qu’en ce moment c’est le monde qui contribue à changer le cinéma ! Et c’est tant mieux. Mais votre question me fait penser à cette citation de Charles Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit et surtout – ce qui est plus difficile – voir ce que l’on voir ». Et là le cinéma peut aider !

 

THE BORDER CROSSED US - "Je crois fermement que nous sommes formés par les histoires que nous racontons."


En tant que spectateur, il est possible de se demander si nous sommes confrontés à un scénario inspiré par des questions d’actualité ou à un reportage.

Ce n’est pas un reportage. C’est un film. Un film documentaire axé sur les dilemmes de la répression frontalière entre les États-Unis et le Mexique, donc oui il est très pertinent aux événements actuels.

Pensez-vous que le mélange entre fiction et reportage renforce l’impact du message politique que vous voulez transmettre ?
Ce film n’utilise pas d’éléments fictifs, mais il est artistique et je me sers du langage du cinéma pour raconter l’histoire.


Dans son livre « Banalité du mal », Hannah Arendt dénonce le risque de banaliser la violence dans notre quotidien.
Pensez-vous qu’avec les nouvelles sur les politiques anti-migration, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, il y a un risque d’arriver à une standardisation de ces pratiques au nom de la protection des frontières ?
Cela s’est déjà produit il y a longtemps. En Europe également. Il n’y a pas d’indignation massive au sujet des centaines et milliers de morts aux frontières extérieures de l’Europe, des États-Unis et du monde entier. La normalisation s’installe toujours sans qu’on s’en rende compte.


Le film que vous présentez au festival « La frontière nous a traversé » traite du sujet de l’immigration clandestine, on voit que vous avez voulu changer de point de vue sur ce sujet en prenant un angle différent. Pensez-vous que le rôle des « gardes-frontières » devrait être remis en question autant que celui des passeurs ?
Il n’est pas sage de comparer les données d’une façon aussi simple. Chaque individu dans le cercle vicieux de l’immigration illégale joue un rôle différent, en le maintenant. Comme dans toute situation, chacun a sa propre justification pour ses choix personnels, souvent en séparant le personnel du professionnel. Dans ce cas, cela pourrait être symbolisé par l’uniforme de la police. C’est en partie pour cette raison qu’il est si difficile de briser le cycle. Le rôle de la police et les dilemmes moraux auxquels elle est confrontée dans son travail sont des choses que je n’avais jamais vues auparavant. J’ai vu beaucoup de films et de contenus sur le rôle des passeurs et des migrants.


Si on traduit le titre de votre film en français, on obtient « La frontière nous a traversés », qu’est-ce que vous entendez par cette phrase ?
La frontière nous a traversés est une phrase souvent utilisée par les Mexicains américains précisément parce qu’une grande partie des USA appartenait au Mexique. Lorsque cette partie du Mexique a été conquise par les États-Unis, les Mexicains du côté nouvellement établi des États-Unis sont devenus des Américains. La frontière les a traversés.

Par conséquent, la culture frontalière est une sorte de culture hybride. Mais malgré le fait qu’ils soient américains, ils étaient considérés comme des citoyens de deuxième classe. Cette situation est encore très répandue aujourd’hui. La grande majorité de la population à la frontière est mexicaine-américaine, tout comme l’ensemble des forces de police du département de police de La Joya dans le film.
Je vois donc aussi le titre comme un rappel du fait que les frontières sont des lignes aléatoires dans le sable dessinées par l’homme. Il ne s’agit pas de plus que de la chance de savoir de quel côté vous êtes né. Et cela peut changer à tout moment. Aujourd’hui, la frontière est à un endroit et il ne faut pas grand-chose pour que cela change demain. Avec les dernières nouvelles aux USA aujourd’hui, cela semble vrai même pour la frontière nord des USA avec le Canada, qui est une ligne dans le sable que jusqu’à récemment personne n’a même remis en question. Bien sûr, la même chose se produit dans les conflits mondiaux.

La localisation est dans une région à forte signification et démontre le paradoxe de l’évolution des frontières qui varient selon les conditions politiques.
Le concept de frontière vous est-il toujours d’actualité?
Oui. Mes réponses précédentes le reflètent.


Enfin, la question que nous posons à tous les invités du festival : combien pensez-vous que le cinéma peut contribuer à changer le monde ?
Je crois fermement que nous sommes formés par les histoires que nous racontons.
C’est pourquoi nous avons besoin de voix indépendantes à travers la littérature, le cinéma, la musique, le théâtre, l’art. Il y a des forces antidémocratiques à l’œuvre dans le monde entier, laissant peu de place aux nuances. De plus, de plus en plus de pouvoir va à moins de gens, et il est très effrayant qu’une grande partie des médias joue avec ce jeu. Sans voix indépendantes et sans ceux qui peuvent apporter des histoires non racontées aux masses de manière indépendante, nous sommes perdus.

 

SOUDAN SOUVIENS TOI - "Ce qu’il reste, c’est la puissance de l’écriture, et cette capacité à continuer à raconter, à imaginer, c’est ce qu’aucun régime totalitaire ne pourra jamais nous enlever"

@HindMeddeb

7e Festival International du Film Politique de Carcassonne Interview Gazette du Festival - "Soudan, Souviens Toi" réalisé par Hind Meddeb 

Pour la bande son du film vous avez utilisé seulement une composition de Arthur H à la fin du film qui fut suffisante au vu du nombre de chansons et de poèmes utilisés par les militants. Aviez-vous prévu dès le départ de n’utiliser que cette composition ? 

Dès le tournage, je savais qu’à la manière de Jim Jarmush dans Stranger than paradise, la musique du film serait celle que les protagonistes écoutent, jouent et chantent. J’aime l’idée que le film se monte au rythme des personnages, de manière à être embarqué dans leur monde sans avoir besoin d’ajouter une musique qui soulignerait leurs émotions ou leurs sentiments. Les Soudanais récitent de la poésie ou chantent comme si leur vie en dépendait, pour eux la musique est un outil de résistance, ils y mettent résistent toute leur âme. Personne dans le film n’est musicien professionnel, les chansons et les poèmes font partie de la vie quotidienne. Après le massacre du 3 juin, j’ai organisé un concert de solidarité avec le Soudan au théâtre le Trianon à Paris. Des artistes français et soudanais sont montés sur scène ensemble. J’ai montré à mon ami Arthur h les images que j’avais tournées sur le sit-in. Ces images lui ont inspiré cette chanson « Ma liberté » et il l’a interprété sur scène en duo avec la chanteuse soudanaise Rasha Sheikh El Din qui suite au coup d’état d’Omar el Bachir en 1989, s’est exilée en Espagne. Une fois le film terminé, j’ai demandé à Arthur h s’il accepterait d’enregistrer la chanson en studio pour l’intégrer au générique de fin. Il a tout de suite accepté. J’aimais l’idée qu’un musicien français soit touché par le combat des Soudanais et leur rendent hommage, car c’est aussi la raison d’être du film : en voyageant avec le film dans des festivals du monde entier, je veux faire entendre la voix des Soudanais, partager leur combat pour la liberté qui est universel.


Le film « Paris Stalingrad » est en quelque sorte le film à l’origine de « Soudan, Souviens Toi ». Lorsque cette révolution sera finie et on l’espère en faveur de la liberté, aimeriez vous retourner au Soudan pour filmer ce retour à la paix ? 

Je ne sais pas. Mais je me dis de plus en plus qu’il faudrait faire un film qui raconte l’histoire du Soudan, un film d’archives. Car le combat pour la liberté des Soudanais remonte au temps de la colonisation britannique et il y a tant de choses à raconter qui ne sont pas dans « Soudan, souviens-toi ». Il y a un film à faire sur le mode de « Soundtrack to a coup d’état », un film qui raconte les enjeux politiques de cette histoire.


Vous avez pu rencontrer la militante Shajane qui est un personnage fort et populaire de ce mouvement protestataire. Quelles sont les autres personnes qui vous ont particulièrement marqué lors de votre séjour au Soudan et pourquoi ? 


Il y a une jeune homme qui n’est pas dans le film mais qui m’a particulièrement touchée : il s’appelle Mosaab mais tout le monde l’appelle « Eros ». Il a été chanteur professionnel mais après le massacre du 3 juin, il n’a plus voulu chanter en public et il a commencé à boire de l’araki (alcool de dattes fermentées, vendu sous le manteau par des paysannes car l’alcool est interdit au Soudan). Il boit pour oublier sa douleur, un peu comme Nicolas Cage dans « Leaving Las Vegas ». C’est un lent suicide à l’alcool. Eros s’affiche ouvertement comme étant athée. Il ne dissimule rien. Il est prêt à mourir pour assumer qui il est. Il a été maintes fois arrêtés, torturés par les militaires et il n’a jamais baissé la tête ou renoncé à ses convictions. Un jour, il achetait de l’araki sur le marché noir quand deux militaires qui venaient aussi pour en acheter, l’ont menacé : donne nous ton argent ou on te dénonce. Il a préféré les laisser l’arrêter et l’emmener au poste de police plutôt que de céder à leur chantage. Il a été emprisonné pour consommation illicite d’alcool. Une fois devant le tribunal, le juge lui demande : 
- boire de l’alcool est « haram », regrettez-vous ?
- Je ne crois pas en Dieu donc pour moi ce n’est pas Haram.
Il a été doublement condamné pour consommation d’alcool et blasphème.


Comment arrivez-vous à gérer le retour chez vous après avoir vécu des moments aussi intenses en émotion et en ayant été confrontée à la beauté mais aussi à la violence de cette révolution ?


Les tournages ont été tellement intenses qu’à un moment donné, j’ai vécu ce qu’on appelle un processus de distanciation, c’était tellement violent que je ne ressentais plus rien. Je crois que c’est une manière pour le corps et l’esprit de se protéger, comme quelqu’un qui subit une agression et qui se dissocie de son corps pour survivre à la douleur.


Et pour finir la question que nous posons à tous les invités du Festival : dans quelle mesure selon vous, le cinéma peut contribuer à changer le monde ? 


Faire ce film comme j’ai fait le précédent est une manière de garder une trace, de construire une mémoire. Je crois que l’art est ce qui nous aide à rester humain. Face au mal absolu que représente ces militaires et ces miliciens qui sèment partout la mort, ce qu’il reste, c’est la puissance de l’écriture, et cette capacité à continuer à raconter, à imaginer, c’est ce qu’aucun régime totalitaire ne pourra jamais nous enlever, c’est ce qui nous permet de rester humain. Quand nous avons présenté le film à Doha, Muzamil l’un des personnages du film a dit ceci dans une interview à Al Jazeera : « Ils peuvent nous tuer par centaines de milliers, ils ne pourront jamais tuer une idée. L’idée que nous nous faisons de la liberté. » Nos corps sont mortels mais nos âmes sont immortelles, et elles perdurent à travers les poèmes, les chansons, les peintures, les livres, les films que nous laissons derrière nous. Le philosophe iranien Molla Sadra Shirazî a écrit au 17ème siècle un traité qui s’intitule « Se rendre immortel: suivi du Traité de la résurrection » traduit par Christian Jambet et publié aux éditions Fata Morgana.
Un penseur, un artiste se rend immortel, car dans l’oeuvre qu’il laisse derrière lui, il y a une part de lui-même qui perdure et avec laquelle nous pouvons continuer de dialoguer. Marcel Proust développe la même idée lorsqu’il dit dans « A la recherche du temps perdu » : « La vraie vie, la vie réellement vécue c’est la littérature. ».

NICO PRAT - "Un bon film politique, selon moi, ne doit pas (ou pas toujours) apporter de réponses claires. Il pose des questions qui incitent à la discussion et au débat."

@ÉglantineAubry

Nico Prat, cette année encore la plateforme Filmo dont vous êtes responsable de rédaction est partenaire du Festival International du Film Politique de Carcassonne. Qu’est-ce qui est à l’origine de ce compagnonnage fidèle ?


Je pense que nous partageons tout simplement une même vision du cinéma, un cinéma forcément politique, un cinéma qui d'une façon ou d'une autre, à travers le drame ou la comédie, raconte quelque chose de notre monde, de ses bouleversements. Un cinéma qui secoue aussi, qu'on ne dévore pas passif, mais qui questionne à la fois notre rapport aux autres et notre regard de cinéphile. J’insiste aussi sur notre conviction commune: la capacité du cinéma de rendre compte de certaines réalités sociales et politiques de notre monde et de modifier notre regard sur elles… Le spectateur est aussi un citoyen.


Quelle est l’importance du cinéma politique chez Filmo ?


Elle est majeure. Ce n'est pas nécessairement un critère de sélection pour notre programmation, on ne cherche pas forcément à mettre en avant des œuvres parce qu'elles sont politiques (d'ailleurs, est-ce que tout n'est pas de toute façon politique), mais un cinéma politique va forcément attirer notre attention, d'une part parce que nous pensons que c'est aussi, un peu, notre rôle en tant que plateforme, mais aussi parce que ce cinéma qui questionne, dérange aussi, et bien il va chambouler les cinéphiles que nous sommes. Et nous aimons être chamboulés. Il faut souligner que c’est également un cinéma qui a peu accès à un large public. C’est dans nos missions de le sortir des festivals pour le rendre plus accessible et le contextualiser avec notre appareil éditorial.

 


Pouvez-vous nous parler de Souad, le film que vous accompagnez à Carcassonne ?


C'est vraiment un immense coup de cœur. Vous allez penser que je dis cela de toutes nos exclusivités (et ce serait un peu vrai), mais Souad est réellement à part. Parce que Souad est un film profondément poignant, un film politique, qui t'invite à plonger dans la vie de jeunes femmes égyptiennes. Des destins souvent contrariés, tout du moins partagés entre les attentes de la société traditionnelle et les aspirations personnelles. Et parce que ce film révèle deux immenses talents : Bassant Ahmed et Basmala Elghaiesh. Toutes deux sont bouleversantes. Je pourrais en parler pendant des heures, mais je préfère inviter tout le monde à le découvrir à Carcassonne sur grand écran, et évidemment sur Filmo.

 

Traditions conservatrices contre image et réseaux sociaux : le thème est vraiment d’actualité ! Pourquoi avoir fait ce choix ?


Justement parce que c'est un sujet d'actualité. Quand le sujet du film reflète les interrogations de son époque, naturellement, on a envie de soutenir, de mettre en avant, de partager cette vision du monde. La réalisatrice Ayten Amin a vraiment un regard, et une voix. Nous avons choisi de l'écouter.

 

Qu’est-ce qui caractérise selon vous un bon film politique ?


Un bon film politique, selon moi, ne doit pas (ou pas toujours) apporter de réponses claires. Il pose des questions qui incitent à la discussion et au débat, même longtemps après le visionnage. Un bon film politique ne doit être ni dogmatique ni manipulateur. 

 

 

AU PAYS DE NOS FRÈRES - "Ces circonstances existent depuis des décennies et continueront malheureusement à empirer si aucune mesure sérieuse n’est prise."

 

Comment vos expériences personnelles et celles de votre co-scénariste, Raha Amirfazli, ont-elles influencé l’écriture de votre film ? 

Depuis notre enfance, nous avons tous deux grandi avec des amis afghans. Enfant, nous ne différencions pas nos amis en fonction de la race ou de l’origine ethnique. Après un certain temps, nous avons remarqué des changements subtils dans le comportement de la société envers nos pairs afghans. En grandissant, nous avons donc toujours remis en question le raisonnement derrière ce traitement injuste. Nous avons tous deux l’expérience de perdre le contact avec des amis afghans, soit par déportation, ou dans des cas plus heureux, par leur départ de l’Iran pour un pays où ils auront les droits de la personne. Quand nous sommes devenus des conteurs, c’était irritant pour nous deux qu’il n’y ait pas de représentation réaliste des réfugiés afghans dans le cinéma iranien. De plus, nous avons remarqué notre propre privilège en tant que citoyens iraniens qui pouvaient prendre le risque de faire un tel film, un privilège que les artistes afghans n’ont souvent pas en Iran. Lorsque nous avons compris notre expérience mutuelle face à cette injustice, nous sommes devenus désireux de raconter ces histoires, comme elles se passent en Iran. 

Le film s’étend sur trente ans, avec un personnage par décennie. Que vous a permis de transmettre cette variété d’histoires et de périodes? 

Lorsque nous avons écrit le scénario, nous savions qu’il nous fallait une structure qui ne soit pas seulement capable de mettre en valeur les circonstances extrêmes d’aujourd’hui, mais qui puisse également faire comprendre que ces circonstances existent depuis des décennies et continueront malheureusement à empirer si aucune mesure sérieuse n’est prise. Nous avons donc décidé de structurer le film en trois personnages différents, tous luttant activement pour la justice, mais tous à l’ombre des règles et règlements ignorants qui sont censés les chasser d’un pays qu’ils devraient appeler leur chez-eux. De plus, le film est structuré pour commencer au moment où l’armée américaine a envahi l’Afghanistan, et se termine avec les talibans qui regagnent le pouvoir en Afghanistan. Bien que le film ne se déroule pas en Afghanistan, cela nous a permis de communiquer le fait que cette situation n’est pas un sous-produit direct du statut politique de l’Afghanistan, mais seulement sur la façon dont le gouvernement iranien traite une nation qu’il appelle si hardiment ses frères. 

Avez-vous eu besoin de recueillir des témoignages d’immigrants afghans ou de personnes d’autres pays pour la réalisation du film? 

Bien sûr. Nous savions dès le début que, en tant qu’Iraniens, peu importe à quel point nous essayions de comprendre la discrimination que les Afghans subissent en Iran, nous ne serions pas capables d’atteindre le niveau de compréhension que l’expérience vécue apporte. Pendant les six mois de la distribution du film, nous avons rencontré de nombreux Afghans qui ont immigré en Iran ou qui y sont nés. Nous ne leur avons pas demandé de lire des vers, mais plutôt d’écouter leurs histoires. Nous voulions qu’ils nous fassent confiance comme les personnes qui racontent leurs histoires. Malheureusement, les histoires que vous voyez dans le film ne sont pas des histoires uniques qui se sont produites pour un personnage unique dans une certaine circonstance. Ce sont des souvenirs générationnels chez les Afghans en Iran. Chaque personne qui est venue a vécu au moins un de ces événements ou a eu un membre de sa famille qui les a vécus. Donc, après avoir écouté leurs histoires et peaufiné notre propre scénario, nous savions que nous faisions un film honnête. 

Avez-vous d’autres projets à venir, ensemble ou individuellement? 

Oui, nous avons tous les deux plusieurs projets à réaliser. Après avoir réalisé le film, nous savions tous les deux que nous ne pouvions pas retourner en toute sécurité en Iran et j’ai trouvé mon avenir ici et Raha à New York. Nous attendons donc les bonnes circonstances pour réfléchir à de futurs projets communs. 

Enfin, la question que nous posons à tous nos invités du festival : dans quelle mesure croyez-vous que le cinéma peut contribuer à changer le monde ? 

Le cinéma ne change peut-être pas le monde du jour au lendemain, mais il peut changer les coeurs et les esprits. Les films ont le pouvoir de susciter l’empathie, de défier les préjugés et d’attiser les conversations. Ils nous permettent de nous mettre à la place d’autrui, ne serait-ce que pour un instant, et cela peut être transformateur. Bien qu’il soit facile de se sentir impuissants face aux défis mondiaux, les histoires nous rappellent notre humanité commune et le potentiel de changement. Le cinéma n’est pas seulement un divertissement : c’est un miroir, un pont et parfois un appel à l’action. 

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